MARQUES ET APPELLATIONS TROUVER SON SEGMENT DE MARCHÉ
Qu'elle soit collective ou individuelle, à chacun sa stratégie de vente pour se différencier sur le marché. C'est lorsqu'ils ont la maîtrise du cahier des charges ou du système de distribution que les producteurs créent de la valeur ajoutée.
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« Le film “Bienvenue chez les Ch'tis” a fait bien plus pour promouvoir le maroilles que la marque du Nord “Saveurs d'Or” », affirme Marc Filser, analyste du comportement du consommateur et des systèmes de distribution (lire l'interview page 47). Pourtant, les marques à consonance régionale (« Reflet de France », « Produits de Bretagne »...) se multiplient et s'affichent jusque dans les travées du Salon de l'agriculture 2011. Elles appartiennent tantôt à des industriels, tantôt à des distributeurs. Ancrées dans une logique de marché, elles sont parfaitement marquetées pour rassurer les consommateurs. Certains industriels ou distributeurs surfent sur l'image des agriculteurs. Et vont jusqu'à afficher la photo du « petit » producteur local. Le tout pour le plus grand bénéfice de l'aval, qui maîtrise le cahier des charges et la stratégie marketing. « Les marques régionales sont rentables pour les agences de publicité mais inutiles en termes d'impact sur le producteur », affirme l'universitaire.
SAUVER LA PRODUCTION LOCALE
Alors quelle option pour le producteur ? En filière longue, plus que ces marques inventées par l'aval, la production sous signes officiels de qualité et d'origine (SIQO) semble être le seul gage de valeur ajoutée. Une étude réalisée par CER France (1) montre que les AOP et IGP peuvent constituer une rente de territoire intéressante. Non délocalisables et validées par un cahier des charges, les productions sous appellations ne sont pas reproductibles à l'extérieur de leur bassin d'origine. Dès lors que le produit bénéficie d'une IGP ou d'une AOP, il se réserve le droit exclusif d'usage de la mention de l'origine (étiquetage, produit, communication générique). Les autres références du même segment de marché n'ont pas cette possibilité. « Quand le territoire porte des valeurs très positives pour le consommateur, la mention de l'origine sur les supports de communication devient un avantage concurrentiel de premier ordre », constate l'étude.
Les premiers SIQO, en particulier AOP/IGP, sont nés de la volonté d'agriculteurs de sauver leur production locale. L'IGP Foie gras du Sud-Ouest en est un exemple emblématique. Au début des années quatre-vingt-dix, les producteurs landais, menacés par la course aux prix bas, brûlaient les camions de produits importés. Après un accord avec les industriels et une longue procédure de reconnaissance à Bruxelles, l'IGP a vu le jour. Aujourd'hui, elle réunit 13 départements d'Aquitaine et de Midi-Pyrénées, la Corrèze et une partie de l'Aude. Autrement dit, l'ensemble des bassins traditionnels d'élevage, de gavage et de transformation du foie gras. La filière a créé une valeur ajoutée supérieure aux marchés standard et permis de sécuriser un débouché commercial, parallèlement aux marchés de masse. « Les appellations sont souvent l'assurance de produits présents en linéaire dans la grande distribution, au moins au niveau local », confirme Jean-Louis Buër, directeur de l'Inao.
Produire sous AOP/IGP ne suffit cependant pas à créer de la valeur ajoutée. « L'importance de la rente dépend de la volonté des acteurs de la filière, assure Jean-Marie Seronie, conseiller CER France de la Manche. Quatre conditions doivent être réunies. La stratégie « produit » doit être adaptée à une demande du consommateur. C'est ainsi que les appellations s'adossent parfois à des marques. Le prix du produit doit être supérieur au produit standard. En toute logique, les producteurs doivent contrôler les quantités offertes. Enfin, le cahier des charges doit y être évolutif. »
Un bon exemple de cette stratégie : le camembert AOP. Afin de maîtriser la rareté de son produit et mieux en justifier le prix, l'organisme de gestion (ODG) des laitiers normands a décidé de durcir le cahier des charges en imposant le lait cru dans la fabrication du camembert. En 2008, l'Inao a arbitré en faveur des producteurs, rejetant la demande d'industriels d'utiliser du lait pasteurisé ou thermisé. L'ODG a ainsi réduit de près de 80 % l'approvisionnement en lait industriel.
Comme pour les marques collectives, c'est souvent l'opérateur d'aval qui fixe le niveau des prix. « Mais, l'AOP/IGP donne un réel pouvoir de négociation aux producteurs à travers les organismes de gestion, souligne Jean-Marie Seronie. Le cahier des charges appartient aux producteurs ou du moins en ont-ils pour partie la maîtrise sous couvert de l'organisme de tutelle. »
« Le producteur doit utiliser ce pouvoir pour exercer une veille marketing de la stratégie de l'aval, renchérit Christine Pelloux, de CER France de Haute-Savoie. Il doit faire l'effort de comprendre les marchés, d'évaluer les risques qu'il prend et d'identifier la valeur qu'il va récupérer. » Cette réflexion, le producteur doit l'avoir avant même de s'engager dans une filière de qualité. « Avec la volatilité des prix que l'on connaît aujourd'hui, il doit analyser l'évolution du différentiel de prix », conseille Jean-Marie Seronie. Les prix du lait bio et conventionnel n'évoluent pas de la même manière. Le premier est toujours stable. Le producteur doit aussi se poser la question des contraintes réelles du cahier des charges en termes financiers et d'organisation du travail : le surcoût génère-t-il une valorisation supplémentaire suffisante ? Si le cahier des charges impose une alimentation des animaux sans ensilage, est-ce que cela sera toujours compatible avec le départ à la retraite d'un associé ?
LA PRESSION DE L'ENVIRONNEMENT
Dorénavant, les cahiers des charges subissent une nouvelle pression, celle de l'environnement. « Cette évolution peut mettre certains signes en danger », redoute Bruno Millet, directeur de la chambre d'agriculture d'Aquitaine, première région des SIQO. Selon lui, tous les produits ne sont pas logés à la même enseigne. Le reblochon bénéficie d'une forte valorisation du lait. Il peut s'engager sur des prescriptions supplémentaires, notamment techniques. Ce n'est pas le cas du jambon de Bayonne, qui subit une très forte concurrence sur son segment de marché. Pour Jean-Louis Buër, « les signes ont déjà un impact positif sur l'environnement », ne serait-ce que dans le caractère des paysages. « L'idée est de mieux prendre en compte ce qui existe déjà et peut être mis en avant », explique-t-il. Son conseil : « Ecrivez ce que vous faites et faites ce que vous écrivez. »
A défaut de trouver son compte dans ces filières collectives, reste la vente directe. « Le producteur assume tout, fait sa propre marque et s'identifie sur un marché déterminé », résume Christine Pelloux. C'est alors la personne du producteur qui porte la marque, comme en témoignage Claude Chalony (lire ci-contre). « En circuit court, l'investissement marketing est faible, souvent même inutile lorsqu'on se positionne sur une niche, comme la Ferme de Corly et ses yaourts en Haute-Savoie. C'est un identifiant minimum plutôt qu'une capitalisation. »
(1) Les cahiers CER France, décembre 2009 : « AOP/IGP, une rente de territoire à saisir ? »
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